top of page

"Ophelia-s" | Histoire-s d’eau

Elles sont là, face contre terre ou le visage noyé dans un bassin d’une noirceur opaque, le corps contraint et contracté. Puis, elles se meuvent par saccades, de gestes continus en fractures. Elles s’inondent, se confrontant à l’eau de la naissance comme à celle des noyades. Un débat s’engage avec les éléments pour s’affranchir, peu à peu, d’une représentation de la féminité aussi idéalisée que victimaire et morbide. En questionnant l'image d’Ophélie et ses reflets à travers le temps, la nouvelle création de la Cie Mossoux-Bonté explose les carcans dans un véritable raz de marée. Esthétique. Profond. Salutaire.

Cie-Mossoux-Bonte_Ophelia-s_chute-c-Sylvain-Dufayard.jpg.jpg

Geyser-s

Depuis Shakespeare, depuis la peinture préraphaélique de John Everett Millais, la figure d’Ophélie fait mine d’icône entravée, emprisonnée entre sa jeunesse parfaite, aussi diaphane que lascive, sa folie romantique et un abandon indifférent à l’existence. Une image cristallisée de la beauté ? Un éternel féminin ? N’y-a-t-il pas là quelque chose de malin à exorciser ?

Endossant chacune une version différente d’Ophélie, moderne ou passée, les quatre danseuses, au bord du bassin, cherchent à trouver la pose. Mais les voilà déséquilibrées, fragiles, cassées, pour ensuite se débattre avec les courants, des murs de forces invisibles et contradictoires. Dans une profusion désordonnée, leurs mouvements singuliers ont beau jaillir et se croiser, impossible de s’extraire de ce liquide qui les attire vers la mort pour enfermer leur beauté. Elles ne dépasseront la surface que du bout de leurs doigts pour se laisser sombrer de fatigue. Consentantes ?

Un court instant d’obscurité.

Les voilà à nouveau sur le plateau, féroces. Elles sont sorcières, méduses ou reines d’un sabbat exutoire pour provoquer les reflets de cette image cloisonnée, les déployer à l’infini dans une beauté mystérieuse et profane. Une force naissante pour finalement braver les flots et reprendre le contrôle.

Cie-Mossoux-Bonte_Ophelia-s_chute-c-Sylvain-Dufayard.jpg.jpg
https __lestanneurs.be_wp-content_uploads_2023_05_Cie-Mossoux-Bonte_Ophelia-s_Pompei-c-Mik

Réflexion-s

En plus de ces métaphores puissantes, l’autre atout du spectacle réside dans son esthétique magnifiée par l’emploi non-cinématographique du médium filmique. Avec le réalisateur Sylvain Dufayard, la compagnie n’a eu de cesse de faire des allers-retours de la création chorégraphique à la réalisation d’images, prolongeant ainsi l’action, forçant parfois le mouvement, les décalages comme la poétique. La danse, son chromatisme, ses projections évocatrices additionnées à la musique surprenante de Thomas Turine, fusionnent pour construire un langage organique total à la perspective visuelle et sensorielle dynamique, impactante. Parfois, l’impression d’immersion asphyxie le spectateur. Parfois, la simple poésie suffit à redonner souffle.

Ophelia-s tient de la magie noire !

 

Mélangeant onirisme et claustrophobie, conjuguant tous les arts dans un même élan, la compagnie bouscule, à nouveau, les frontières de la danse contemporaine pour livrer un exercice d’une beauté enivrante et insolite. Ces Ophélie rebelles communient pour devenir un geyser indompté, brisant les codes et bravant la mort annoncée. C’est toute une liberté féminine qui se dégage avec force. Un moment courageux de délivrance propice aux devenirs. Il en est tellement question.

Jean-Jacques Goffinon

30/11/2023

Photos : Sylvain Dufayard, Mikha Wajnrych

bottom of page